dimanche 29 juin 2008

Coming back to L'État Libre d'Orange



When Étienne de Swardt launched L'État Libre d'Orange in 2006, I admit I didn’t spend more than a couple of hours, one afternoon, smelling them in the shop – it’s not on my usual perfume paths, and most of the fragrances, when smelled on strips, initially gave me the impression that they weren’t complete, as though they were drafts rushed into productions or mods rejected by other houses, rather that proper compositions. I’m not so sure after a second, belated session: I now believe that this is a deliberate aesthetic stance, which perfectly matches de Swardt’s marketing strategy.

With its Magritte-inspired, playfully porn drawings in Pop Art colours (somewhat reminiscent of Tom Wesselman), Éld’O visual identity, created by the graphic duo Ich & Kar, has shocked several commentators, particularly in the USA – even though most of the comments were tolerant and ironic, in the line of “boys will be boys”. The names of the fragrances – “Palace Whore”, “Don’t Get Me Wrong, Baby, I Don’t Swallow”, “Delicious Closet Queen” or “Carrion” – also caused a flutter for their apparently gratuitous provocativeness. Sex sells, they said. And that’s probably what Étienne de Swardt told himself: that by pushing the advertising discourse of perfumery, which doesn’t say much else than “wear me, you’ll be irresistible” – to its limits, he’d get a lot of free copy.

I’ve always rather liked the slightly kitsch visuals, which reminds me of the work of certain young French artists like my friend Philippe Mayaux: porn-tinged, but candy-pink rather than the Larry Flynt show-the-pink variety. And the names themselves ultimately translate the subtext of perfumery: if a guy wears virile cologne, isn’t he saying “I am a man” (Je suis un homme)? If he chooses a gender-bending blend, isn’t he hinting at the “Delicious Closet Queen”? What about a woman wearing an expensive perfume, can’t she be fantasizing about being a “Palace Whore” (Putain des Palaces)? And aren’t the regressive tendencies of sweet, gourmand scents aiming at our inner “Divine Child” (Divin’Enfant)?

As for the brand’s self-proclaimed “olfactory libertinage”… Marie-Hélène has already stated in her blog The Scented Salamander that the inclusion of certain notes evoking the body otherwise than through animal substances like musk (or its substitutes), for instance the metallic blood accord or the iodine sperm note, pushes back the boundaries of what is considered tolerable in perfumery. In this business, the aim is usually to please at first sniff. Éld’O’s fragrances aren’t outright shocking, though: even the infamous Sécrétions Magnifiques isn’t quite as horrible as it’s been made out to be. The very sweet S.A. confirmed that not only did it sell, but that it had repeat buyers. And when my friend B., who teaches at a fashion school, blind-tested it on some of her students, none were disgusted (and these kids wear Vera Wang Princess). Most of them thought Sécrétions Magnifiques smelled of flowers. Which only goes to show that preconceptions can trump olfaction. If it’s perfume, it’s supposed to smell of flowers. Of course, Sécrétions Magnifiques smells of anything but flowers. But I can easily imagine a die-hard L’Eau d’Issey fan being drawn to its metallic-iodine accord…

The range does have common points that could define a consistent aesthetics. The frequent inclusion of pepper, incense and certain woody bases give them raspy, nose-tingling, slightly aggressive top notes; the dry, almost scorched leather accords which can be found in at least eight fragrances. But also the way in which these are blended in with sweetish, almost mawkish notes: orange blossom, vanilla, violet, honey, as well as “bubblegum”, “pink marshmallow”, “suntan lotion” and “rice powder” accords…

The prevalence of these often foody, rather artificial notes draws the range towards synthetic, often regressive smells – which is, once more, consistent with the childish, candy pink style of the visuals. Granted, most of the notes listed refer to traditional natural perfume notes, but the general effect is nevertheless unnatural. We’re in the Givaudan labs (who employ the two authors of most of the range, Antoine Lie and Antoine Maisondieu) rather than in the fields of Grasse.

This deliberately claimed artifice, this chic perversion, does lean towards the olfactory libertine, inasmuch as the libertine outlook seeks to push backs the limits of what can be enjoyed, but especially, of what can be thought. Including in matters of perfumery.
Image: Sécrétions Magnifiques by Ich & Kar, courtesy of L'État Libre d'Orange.

Retour à L'État Libre d'Orange


Quand Étienne de Swardt a lancé L'État Libre d'Orange en 2006, j’avoue ne pas avoir consacré plus d’une séance à la sentir en boutique – l’adresse ne se trouve pas sur mes itinéraires parfumés et la plupart des jus sentis sur papier m’ont initialement laissé une impression d’inachèvement, comme s’il s’agissait d’esquisses précipitées sur le marché ou d’essais rejetés par d’autres maisons, plutôt que de compositions achevées. J’en suis beaucoup moins sûre après une seconde séance : je crois désormais qu’il s’agit d’une esthétique délibérée, parfaitement en accord avec le marketing de la ligne.

L’identité visuelle d’ÉLd’O créée par les graphistes Ich & Kar, avec ses dessins d’inspiration vaguement magrittienne et ses aplats de couleur très Pop Art (on songe à Tom Wesselman), a passablement choqué certains commentateurs, surtout aux USA – bien que leurs commentaires aient souvent adopté le ton de la dérision tolérante, face à ces représentations stylisées de sexes, de seins ou de poils pubiens. Les noms de parfums – en particulier Putain des Palaces ; Don’t Get Me Wrong Baby, I Don’t Swallow ; Delicious Closet Queen ; Charogne – ont également fait gloser pour leur provocation apparemment gratuite. « Sex Sells », a-t-on dit. Et en effet, Étienne de Swardt s’est certainement dit qu’en exaspérant le discours de la publicité en parfumerie, qui ne dit souvent pas autre chose que « portez-moi, vous allez tous/toutes les tomber », il ferait parler de sa marque.

Le côté potache et un peu kitsch de l’identité visuelle n’est pas, somme toute, si éloignée du travail de certains artistes comme mon ami Philippe Mayaux, ce qui n’est pas pour me déplaire : si c’est du porno, c’est tendance rose bonbon plutôt que hardcore. Certains des noms ne font que traduire le message caché de la parfumerie : tel, qui porte une eau de toilette virile ne dit-il pas, en fait, « Je suis un homme » ? Tel autre, qui choisit une senteur à la limite du féminin, ne se proclame-t-il pas « Delicious Closet Queen », tapette délicieuse pas sortie du placard ? Telle autre encore ne se fantasme-t-elle pas, avec son parfum hors de prix, en « Putain des Palaces » ? Les tendances régressives des fragrances alimentaires sucrées ne sont-elles pas destinées au « Divin’Enfant » ?

Quant à la proclamation de « libertinage olfactif » d’ÉLd’O, qu’en est-il ? Comme l’a déjà fait remarquer la bloggeuse Marie-Hélène dans The Scented Salamander, l’inclusion de certaines notes évoquant le corps autrement qu’à travers les substances animales comme le musc (ou leurs substituts), notamment l’accord métallique du sang ou celui, iodé, du sperme, repousse les limites de ce qui est considéré comme tolérable en parfumerie. Le but, dans ce métier, est en général de faire joli, de plaire d’entrée de jeu. Les eaux de parfum d’Éld’O ne choquent pas pour autant : même Sécrétions Magnifiques à la réputation sulfureuse n’est pas aussi horrible qu’on pourrait le croire. La preuve par deux : d’une part, la jeune et très aimable vendeuse de la boutique affirme que le jus se vendait et que certains clients reviennent régulièrement s’en acheter un nouveau flacon. D’autre part, un blind-test réalisé par mon amie B., professeur dans une école de mode, auprès de ses étudiants, n’a suscité aucune réaction dégoûtée. La plupart trouvaient à Sécrétions Magnifiques une odeur de fleur : comme quoi, c’est parfois le préjugé qui l’emporte sur le nez. Un parfum est censé senteur la fleur – or Sécrétions Magnifiques sent tout, sauf ça. J’imagine assez facilement, au fond, un amateur de l’Eau d’Issey séduit par cet accord métallique-iodé…

Il se dégage cependant de l’ensemble de la gamme quelques points communs qui pourraient définir une esthétique cohérente. La présence fréquente du poivre, de l’encens et de certaines bases boisées, qui lui confère un côté âpre, un peu agressif au débouché ; les accords cuir très secs, presque brûlés, qui reviennent dans de nombreuses compositions (au moins huit). Mais aussi une façon d’y mélanger le douceâtre et le mièvre : fleur d’oranger, accord « bubblegum », vanille, accord « guimauve rose », accord « ambre solaire », accord « poudre de riz », violette, miel…


La prédominance de ces accords parfois alimentaires, souvent artificiels, tire la gamme vers un synthétique aux relents souvent régressifs – ce qui renvoie une fois de plus à l’esthétique enfantine, rose bonbon, de l’identité visuelle. Certes, les notes énumérées se réfèrent la plupart du temps aux produits naturels traditionnels de la parfumerie, mais l’effet n’en est pas moins un peu contre-nature. On est dans les laboratoires Givaudan (où travaillent les deux auteurs de la plupart des compositions, Antoine Lie et Antoine Maisondieu) plutôt que dans les champs de Grasse.
Cet artifice délibérément assumé, comme une vague perversion chic, relève bien du libertinage olfactif, si tant est que le libertinage cherche à repousser les limites de ce dont on peut jouir mais aussi, et surtout, de ce qu’on peut penser. Y compris en matière de parfumerie.
Image: Messe Rose, courtesy L'État Libre d'Orange, réalisée par les graphistes Ich & Kar.

jeudi 26 juin 2008

Chanel N°18, the drunken ambrette



When, for some reason, I don’t feel like wearing perfume but would feel naked without it, I reach for my heavy bottle of Chanel N°18. While it doesn’t have the hesperidic juiciness of a Cologne, it is just as refreshing, almost scouring: like resetting the olfactory meter to zero.

I ascribe this effect to the disconcerting qualities of ambrette, its main note: the extract of the hibiscus seed, used as a vegetal substitute of amber, develops musky, floral and fruity facets while remaining as limpid as a 100 proof alcohol. Chanel N°18 does remind me of pear brandy (what the French call “eau-de-vie”, water of life); I talked about resetting the meter to zero, but I could just as well have evoked the time-honoured French tradition of “le trou normand”, the Norman hole, even though it is a rather trivial comparison.

Chanel N°18 produces the same effect as the fruit brandies served in tiny ice-cold tumblers between courses of a rich meal.
Then, just as you’re quenching your thirst with this burning liqueur, the fragrances tilts on its axis and present another facet, just as limpid but slightly metallic and unmistakably carroty: the iris. And you wonder why you hadn’t immediately understood that N°18 was an iris scent… Until you smell the rose, but a rose undressed of all its opulence and romanticism, a terse and translucent rose…

N°18’s masterful blend is both complex and as simple as an obvious truth. And truth be told, I’d drink (to) it.

Image: Chan Marshall aka Cat Power, the new face of Chanel Jewellery. Chanel N°18 is named after the address of the Chanel Jewellery boutique on the place Vendôme in Paris.
Please note that the title is in no way or form a comment on Ms. Marshall: it refers to the booziness of the perfume blend!

Chanel N°18, l'ambrette enivrée


Quand, pour une raison quelconque, je ne me sens pas le cœur de porter du parfum mais que je me sentirais nue en n’en portant pas, je tends la main vers mon lourd flacon de Chanel N°18, composé par Jacques Polge assisté de Christopher Sheldrake pour la ligne des Exclusifs. Sans avoir le juteux hespéridé des eaux de Cologne, il est tout aussi rafraîchissant, presque décapant : une sorte de remise à zéro des compteurs olfactifs.


J’attribue ce phénomène aux qualités déconcertantes de l’ambrette, sa note principale : l’essence tirée de cette petite graine d’hibiscus, utilisée comme substitut végétal au musc, développe des facettes à la fois musquées, florales et fruitées tout en conservant une limpidité d’alcool à 90°. C’est d’ailleurs à l’alcool de poire que Chanel N°18 me fait d’abord penser ; j’ai parlé de remise à zéro des compteurs et je pourrais tout aussi bien évoquer le trou normand, bien que cette comparaison soit assez peu noble.


Chanel N°18 me fait l’effet de ces eaux de vie présentées dans des verres très glacés, qu’on utilise pour se dégager le palais lors d’un repas trop riche.
Puis, juste au moment où l’on se rafraîchit à cette poire qui désaltère en brûlant la langue, le parfum pivote sur son axe et présente une autre facette, tout aussi limpide mais un peu métallique, avec de légers relents de carotte auxquels on ne peut se tromper : c’est l’iris, et l’on se demande comment on n’a pas compris tout d’un coup que N°18 était un parfum à l’iris… Jusqu’à ce qu’on sente la rose, mais une rose déshabillée de toute son opulence et de son romantisme, une rose translucide et laconique…


Le N°18 réussit cette prouesse d’être à la fois complexe et d’une simplicité déroutante comme une évidence. Et à la vérité, on en boirait.


Image: Chan Marshall, alias Cat Power, nouveau visage de Chanel Joaillerie, courtesy nogoodforme. Chanel N°18 tire son nom de l'adresse de la boutique Chanel Joaillerie, place Vendôme à Paris.

lundi 23 juin 2008

MDCI L'Enlèvement au sérail: a whiff of Mozart




The first whiff of L’Enlèvement au Sérail – which takes its name from a Mozart opera, The Abduction from the Seraglio – is uncannily familiar: Francis Kurkdjian has obviously pilfered Edmond Roudnitska’s arsenal for his famous Prunol base or something quite similar. It has the very same tart peach-plum-nutty smell as the top notes of Roudnitska’s Le Parfum de Thérèse (Frédéric Malle Éditions de Parfums) or of its semi-clone, the current Diorama. But while the fruity, slightly tooth-gritting notes of the modern Diorama (I’ve never had the chance to smell the old one) linger for minutes or even hours, L’Enlèvement au Sérail veers off immediately into the fleshier, more animalic consistency of jasmine petals drowned in a cloud of cream-beaten citruses, flavoured with ylang-ylang and vanilla. The bergamot-vanilla duet and the classic jasmine-rose pairing give it some of the edible floral consistency of the older Guerlains: ghosts of the original Mitsouko (peach), Shalimar (bergamot-vanilla) and Parure (plum, rose, patchouli). Reminiscences of the vintage Rochas Femme (the plum again) or of Balenciaga Quadrille (still the plum) draw L’Enlèvement au Sérail, by analogy, into 1950s fruity chypre territory though it is presented as a floral oriental.

The composition might just as well have been classified as one of the nouveau chypres, despite the absence of labdanum and oak moss: after several hours, the patchouli acts like the latter to dry it up, give it a bitter foundation that checks the sweet fugue of vanilla. The structure of chypre, its tension between the juicy freshness of bergamot, the floral heart and the earthy, slightly burnt base is stronger here than in most blends currently being labelled as chypres.

It is as though Francis Kurkdjian, who is also the author of post-modern compositions almost entirely based on synthetics (Narciso Rodriguez for Her, Jean-Paul Gaultier Le Mâle), had played at grazing the classics without copying them (L’Enlèvement smells neither old-ladyish nor vintage). The classics have, for the most part, degenerated to the point of being almost unrecognizable through reformulation and cheaper ingredients, when they haven’t been simply discontinued: thus, this is a classic as it should be composed, with first-rate materials and a harmonious blend.

The aesthetics of Claude Marchal’s Parfums MDCI, launched in 2006, place the range within a minute niche family that stands apart from market trends by adhering to the standards of the Grand Style of perfumery – a family that also includes Yvon Mouchel’s Parfums Divine and Patricia de Nicolaï’s Parfums de Nicolaï. However, unlike these brands, MDCI has very high price points: $5780 and $4920 for numbered crystal bottles, $703 for flacons with bisque stoppers, $336 for 60 ml refills, which puts them more in the Clive Christian, JAR high-luxury range, a notch above Indult, Tom Ford or By Kilian. But the house offers a sample set of its five fragrances in very generous decants for $102. Too bad (for our wallets). Those are seriously beautiful scents.
Image: Carle Van Loo, Madame de Pompadour en sultane (1747), Musée des Arts Décoratifs, Paris.

L'enlèvement au sérail des parfums MDCI : une bouffée de Mozart



La première bouffée de L’Enlèvement au Sérail – qui tient son nom d’un opéra de Mozart -- dégage une impression de familiarité immédiate : Francis Kurkdjian a manifestement piqué dans l’arsenal d’Edmond Roudnitska sa fameuse base Prunol, ou quelque chose qui lui ressemble. Même saveur acidulée pêche-prune soulignée d’un fond un peu noisette marinée dans l’alcool, celle que l’on retrouve en ouverture du Parfum de Thérèse (Frédéric Malle Édition de Parfums) ou de son quasi-clone, le Diorama proposé actuellement par Dior. Mais alors que le Diorama moderne (je n’ai pas eu la chance de sentir l’ancien) persiste de longues minutes dans cette note fruitée qui fait un peu crisser les dents, L’Enlèvement au Sérail bifurque aussitôt vers une consistance plus charnue, presque animale, de pétales de jasmin noyés dans un nuage d’agrumes battus en crème, aromatisés d’ylang-ylang et de vanille. L’alliance bergamote-vanille et le duo classique jasmin-rose lui confèrent un peu de la consistance florale comestible de certains Guerlain : fantômes du Mitsouko d’antan (la pêche), de Shalimar (la bergamote et la vanille), de Parure (la prune, la rose, le patchouli). On pourrait aussi songer à Femme de Rochas (la version originale, prune toujours) ou à Quadrille de Balenciaga (encore la prune), qui tirent L’Enlèvement au Sérail, par analogie et bien qu’il s’agisse plutôt d’un oriental floral, vers les chypres fruités des années 1950.

La composition aurait d'ailleurs tout aussi bien pu être classée parmi les nouveaux chypres malgré l'absence de ciste labdanum et de mousse de chêne : après plusieurs heures de port, le patchouli agit comme cette dernière pour l'assécher, lui procurer un fondement amer qui freine la fugue sucrée de la vanille. L'effet structuré du chypre, sa tension entre la fraîcheur juteuse de la bergamote, le coeur floral et la base terreuse un peu brûlée est présent, plus fortement que dans ce qu'on désigne en général aujourd'hui sous le nom de chypre.

Tout se passe comme si Francis Kurkjian, également capable de compositions postmodernes basées presque entièrement sur des matières de synthèse (Narciso Rodriguez for Her, Jean-Paul Gaultier Le Mâle), s’était ici amusé à effleurer ses classiques, sans redite toutefois (ça ne sent pas la vieille dame, ça ne copie rien). Les classiques en question ayant pour la plupart dégénéré au gré des reformulations de plus en plus bon marché, lorsqu’ils n’ont pas carrément disparu, c’est donc à un classique, tel qu’il devrait être composé, avec des matériaux de première qualité et une vraie recherche de fondu, qu’on a affaire.
L’esthétique des parfums MDCI lancés par Claude Marchal en 2006 range donc la gamme dans une famille de parfumerie de niche assez peu fréquentée, celle qui s’efforce de poursuivre le grand style à l’écart des tendances du marché : les parfums Divine d’Yvon Mouchel ou Parfums de Nicolaï de Patricia de Nicolaï. Cependant, contrairement à ces lignes, MDCI affiche des prix grand luxe : €3 700 et €3 150 pour des flacons en cristal numérotés, €540 pour le flacon a bouchon biscuit numéroté, €250 pour les recharges de 60 ml, ce qui la range un cran au-dessus des Indult, Tom Ford et autres By Kilian, dans la catégorie de l’exclusif extrême occupée par Clive Christian ou JAR. La maison propose cependant un coffret d’échantillons très généreux comprenant les cinq fragrances de la ligne pour €65. Dommage (pour nos portefeuilles). Car ce sont vraiment de très beaux parfums.

Image: Jean-Marc Nattier, Mademoiselle de Clermont en sultane (1733), The Wallace Collection (Londres).

The Corruption of White Flowers (V): Tom Ford Private Blend Velvet Gardenia


Gardenia has staked its symbolic ground in the tragic genres of film noir and the blues. Exhibit N°1: Billie Holiday first wore her emblematic flower when she burned herself bald on one side of the head with a hot curling iron, or so the legend goes: the hair grew back, the gardenia stayed on. Exhibit N°2: when a skirt-chaser gives it to lovelorn telephone operator Ann Baxter in Fritz Lang’s The Blue Gardenia (1953), it incriminates her in the murder of her attempted rapist.


This vexing flower refuses to yield its odour to extraction. This has never stopped perfumers, since there have been over 150 gardenia fragrances since 1900, and that’s just the ones that are actually called “Gardenia” something. In its natural state, its sweet, heady smell is underlined by a somewhat noxious raw mushroom smell (American noses read it as “blue cheese”). Not something classical perfumery usually tries to reproduce.


All in all, gardenia in perfumery is mainly a theoretical view: as its composition isn’t dictated by a natural extract, it is even more susceptible to olfactory trends than other floral themes. Styrallyl acetate, a molecule with green, floral and fruity facets (it has nuances of jasmine, mimosa, apple, apricot and raspberry), has long been the main compound used to reproduce it, along with white flower extracts. It is the main player in the 1920s gardenias, like Chanel’s, allegedly launched because it resemble Mademoiselle’s fetish camellia (which doesn’t have a smell at all), as well as in Carven’s Ma Griffe.


The old-school glamour of this diva flower has recently come back into fashion. Yves Rocher did a headspace reproduction; Estée Lauder paired it off with its tuberose sister in an opulent, yet exquisitely well-bred tropical floral, Private Collection Tuberose Gardenia; Guerlain did an aldehydic powdery version with Cruel Gardénia in its L’Art et la Matière line. All of these are clean gardenias –the Guerlain particularly. Tom Ford’s Velvet Gardenia takes the opposite course.


Launched along with 11 other fragrances in 2007, Velvet Gardenia flirts with stink to a degree rarely seen in perfumery. An expensive, mushroom-smelling molecule called (e) benzyl tiglate is probably responsible for the earthy, ripe, slightly rotten whiff that emanates from gardenia bushes.
Tom Ford’s Private Blends – which, I must admit, I haven’t thoroughly explored yet – seem to be mostly fragments of classic perfumes, in accordance with the current, short-formula trend in exclusive lines (Hermessence, Guerlain’s L’Art et la Matière, Chanel’s Exclusives, Armani Privé). Thus, when you put together strips of Tuscan Leather and Moss Breches, you get the bitter aromatic top notes of Bandit. It is said that the fragrances for this collection were developed when Tom Ford decided to launch Black Orchid and Tom Ford for Men. David Apel, who composed Velvet Gardenia, also did Black Orchid as well as three other Private Blends (Bois Rouge, Japon Noir and Purple Patchouli).


Velvet Gardenia does have a lot in common with Black Orchid, especially the slightly upsetting truffle top note of the latter which translates, in the former, as mushroom/blue cheese. There is the same will to shock at the outset. But while Black Orchid aims at a classic orchestral feel, Velvet Gardenia sticks to its initial intent: the flower, in all its ripeness. Both compositions share a carnal density, a saturation which brings to mind the big arrogant florals of the 80s, like Poison and Amarige.


But Velvet Gardenia carries this flamboyant attitude into another, more decadent territory. In keeping with Tom Ford’s “more is more” neo-porn aesthetics, the flower flaunts artificially enhanced charms – silicone breasts, oiled skin and outrageous make-up. It seems to reproduce nature, but it is actually a simulation. This is a vegetal-animal hybrid spouted by a perverse geneticist’s lab, dripping with honey and beeswax. Wear it but be warned: this blossom has claws.

Image: German poster for Fritz Lang's The Blue Gardenia (1953).

dimanche 22 juin 2008

La corruption des fleurs blanches (V): Velvet Gardenia de Tom Ford Private Blend


Entre l’emblème et le porte-malheur, le gardénia est une fleur de film noir et de blues. Jugez donc : si Billie Holiday s’en pare la chevelure c’est, raconte la légende, pour dissimuler une plaque chauve, là où elle avait brûlé une mèche au fer à friser (les cheveux ont repoussé, la fleur est restée). Quand un coureur de jupons l’offre à la téléphoniste Anne Baxter dans La Dame au gardénia de Fritz Lang (1953), il devient l’indice le plus incriminant pour elle quand elle se retrouve accusée du meurtre de son quasi-violeur.


Cette fleur vexante à laquelle on ne peut pas soutirer son odeur – ce qui n’a jamais arrêté les parfumeurs puisque des parfums au gardénia, on en a fait facilement plus de 150 depuis 1900 – a en outre la particularité de dégager, au naturel, une odeur de champignon (« mousseron », dit Colette) ou de fromage bleu (d’après les nez américains).


Autant dire que puisque le gardénia en parfumerie est purement une vue de l’esprit, c’est-à-dire une composition susceptible, plus encore que celles basées sur des extraits naturels, d’être influencée par les modes. L’acétate de styrallyle, molécule à la fois verte, florale et fruitée (nuances de jasmin, de mimosa, de pomme, d’abricot et de fraise) en a longtemps constitué la note principale. C’est celle qu’on retrouve dans les gardénias des années 20, dont celui de Chanel, supposément lancé parce qu’il ressemblait au camélia fétiche de mademoiselle (totalement dépourvu d’odeur, lui) mais aussi dans Ma Griffe de Carven.


Le glamour à l’ancienne de cette fleur-diva est récemment revenu à la mode. Traitée en headspace par Yves Rocher ; associée à sa sœur la tubéreuse dans Private Collection Tuberose Gardenia d’Estée Lauder, un floral tropical opulent sous ses allures bien élevées ; poudrée aldéhydée dans le Cruel Gardénia de la collection l’Art et la matière de Guerlain… Gardénia propres – à la limite du talqué pour le Guerlain – dont Velvet Gardenia de Tom Ford prend délibérement le contrepied.


Cette composition, lancée en même temps que onze autres en 2007, flirte avec le malodorant à un degré rarement vu en parfumerie. Grâce, sans doute, à une molécule très onéreuse à l’odeur de champignon, le (e) benzyle tiglate, qui lui confère dès les notes de tête une senteur terreuse assez proche de la légère odeur de pourriture végétale du gardénia naturel.


Les Private Blend de Tom Ford – que, je l’avoue, je n’ai pas encore explorés à fond – donnent pour la plupart l’impression d’être des fragments de parfums classiques, selon la nouvelle tendance qui veut que les gammes exclusives (Hermessence, L’Art et la Matière de Guerlain, Exclusifs de Chanel, Armani Privé) jouent sur la somptuosité des matières en formules assez courtes. Ainsi, quand on rapproche des touches de Tuscan Leather (un cuir) et de Moss Breches (un chypre), on obtient à peu près le débouché amer-aromatique de Bandit. Il semble que la gamme ait résulté des essais réalisés pour les parfums de plus grande diffusion de Tom Ford, Black Orchid et Tom Ford for Men. Dave Apel, l’auteur de Velvet Gardenia, est également celui de Black Orchid mais également de trois autres Private Blend (Bois Rouge, Japon Noir et Purple Patchouli).


De fait, dans Velvet Gardenia on décèle un peu de la dérangeante note de truffe de Black Orchid ; la même volonté de choquer d’entrée de jeu. Mais alors que Black Orchid vise une orchestration classique, Velvet Gardenia s’en tient à son propos initial : la fleur, dans toute son opulence un peu écœurante. Les deux compositions partagent une densité charnelle, une saturation qui rappelle les grands floraux arrogants des années 1980 comme Poison ou Amarige.
Mais Velvet Gardenia pousse cette attitude flamboyante jusqu’à la décadence. En accord avec l’esthétique néo-pornographique « more is more » de Tom Ford, la fleur exhibe des atouts boostés, avec ses seins siliconés, sa peau huilée, ses fards outranciers : on n’est plus dans la nature mais dans la simulation, dans l’hybride végétal-animal avec des notes dégoulinantes de miel et de cire d’abeille. Prenez garde : ce gardénia-là a des griffes.
Image : Affiche de La Femme au Gardénia (The Blue Gardénia) de Fritz Lang (1953).

dimanche 15 juin 2008

The Gender of Scent (III): Chanel Sycomore



Like lavender, vetiver, though it is also used in feminine fragrances, is almost entirely considered a masculine note: all the classic vetivers, Carven (1957), Guerlain, Givenchy (both from 1959), Lanvin (1964) were launched during the boom of the masculine fragrance market.

With its multiple facets – hesperedic, smoky, woody, earthy, balsamic – vetiver is just about as far from floral notes as possible (though, in fact, it does have a faint floral aspect). And like lavender, vetiver roots are associated with cleanliness, since they are used to scent linen and to protect it from moths. Dry and aromatic, vegetal and mineral, vetiver is the polar opposite of the heady and sweet aroma of flowers: to their fleshy opulence, it opposes its angular bone structure.
Nevertheless, its salt-sprinkled grapefruit notes do emit a smell that brings this ascetic back to the realm of mere mortals.

Vetiver smells of sweat. Fresh sweat after a physical effort rather than the stench that clobbers you in public transports during a heat wave. But sweat nevertheless. It’s faint, but once you’ve detected it, you can’t not smell it. And there’s something virile in fresh sweat, isn’t there?

When Chanel launched Sycomore earlier this year as part of its Exclusives, it was received in the blogosphere and fora as the first true masculine of the collection. Granted, with their streamlined bottles, most of the Exclusives – except the über-floral Gardénia and N°22 – could be thought of as shared fragrances. But when I first sampled this beautiful vetiver, with its grapefruit top note and its extraordinarily tenacious woody-smoky base, I immediately thought: “This is for a man”.
A cultural prejudice, perhaps, reinforced by personal associations: as practically everyone living in France, I know at least five gentleman who wear Guerlain’s Vetiver – along with Habit Rouge, it seems to be the French bourgeois’ default fragrance, just as the French bourgeoise’s is Shalimar or Chanel N°5.

So I was quite surprised to learn that Sycomore had been conceived by Jacques Polge, assisted by Christopher Sheldrake, as a feminine fragrance which could also be worn by men. Perhaps to lure women away from filching Guerlain’s Vétiver?
After having worn Sycomore on a few different occasions, I discovered that it alternates – perhaps according to weather conditions? – between a woody-smoky scent, a very refined, thirst-quenching vetiver and rounder, sweeter, almost balsamic notes that veer towards amber or benzoin. Somewhere along the ride, I detect a small dose of iris, maybe a smidge of jasmine, as well as peppery notes.
While it seems like a very simple composition at the outset – like the other modern Exclusives, it displays the beauty of excellent materials rather than weaving them into the complicated accords of classical perfumery – Sycomore turns out to be rather more complex. In an already crowded field – the nutty Hermès Vétiver Tonka, The Different Company’s salty Sel de Vétiver, the somewhat thinnish reedition of Givenchy’s mythical Vétiver, Frédéric Malle’s Vétiver Extraordinaire with its cedar and cold candle wax notes, Serge Lutens’ unexpected Vétiver Oriental and the vetiver of reference, the Guerlain, which lost a bit of its lustre in recent years – Chanel’s Sycomore is not particularly groundbreaking. But it is excellent. And it offers a quiet, pared-down, chic answer to the question of the gender of vetiver. It is a hermaphrodite.
For a review of the original Sycomore launched in the 1930s, see Octavian Sever Coifan's 1000fragrances.


Image: Poster for Anne Fontaine's biopic Coco Before Chanel starring Audrey Tautou, to be released in 2009.

Le sexe des senteurs (III) : Sycomore de Chanel



Comme la lavande, le vétiver, bien qu’il ne soit pas absent des compositions destinées aux femmes, s’est presque entièrement rangé dans la gamme des notes masculines – Vétiver de Carven (1957), de Guerlain, de Givenchy (1959), de Lanvin (1964) -- sans doute parce que ses multiples facettes hespéridées, fumées, boisées, terreuses, balsamiques, l’écartent résolument de toute connotation florale. Et comme la lavande, les racines de vétiver ont une connotation de propreté, puisqu’elles sont utilisées pour parfumer le linge de maison et le protéger des mites. Sec et aromatique, végétal et minéral, le vétiver se situe à l’antipode des arômes capiteux et sucrés des fleurs : à leur chair, il oppose son ossature anguleuse.


Et pourtant, dans ses notes de pamplemousse saupoudré de sel, on perçoit parfois un relent qui ramène cet ascète parmi les mortels.
Le vétiver sent la sueur. Une sueur fraîche d’après l’effort plutôt que celle qui vous assomme dans le métro en période de canicule… C’est discret mais dès qu’on l’a décelé, impossible de ne pas le sentir.


Est-ce ce relent viril qui classe le vétiver parmi les notes masculines ? Quand Chanel a lancé son Sycomore[1] dans la collection des Exclusifs, il a en tous cas été reçu dans la blogosphère et les forums comme le premier véritable masculin de la gamme. Certes, dans leur conditionnement très sobre, la plupart des Exclusifs – à l’exception des très floraux N°22 et Gardénia – peuvent sans doute indifféremment être portés par les deux sexes. Mais quant à moi, lorsque j’ai senti pour la première fois ce très beau vétiver, avec sa note de tête de pamplemousse, et son côté fumé posé sur un fond boisé extraordinairement tenace, j’ai tout de suite pensé : « C’est pour un homme ».


Préjugé culturel, sans doute, renforcé par quelques associations personnelles : comme pratiquement toute personne habitant en France, je connais au moins cinq messieurs qui portent le Vétiver de Guerlain, qui semble être, en alternance avec Habit Rouge, l’eau de toilette par défaut du bourgeois hexagonal – ce que Shalimar et Chanel N°5 sont aux femmes de la même classe sociale et du même âge…


J’ai été d’autant plus étonnée d’apprendre que Sycomore avait été conçu par Jacques Polge, assisté de Christopher Sheldrake, d’abord à l’intention des femmes, avec l’idée qu’il pourrait aussi être porté par les hommes. Réponse du berger lassé de se faire chiper son Vétiver de Guerlain par la bergère ?


Un port plus prolongé de Sycomore révèle, en alternance – peut-être selon les conditions climatiques ? -- un fond boisé-fumé, un vétiver extrêmement fin, désaltérant comme une boisson non-sucrée, et des notes plus rondes, plus sucrées, presque balsamiques qui penchent du côté de l’ambre ou du benjoin. Durant le parcours, on décèle une toute petite dose d’iris et peut-être un soupçon de jasmin, ainsi que des notes poivrées. Très simple en apparence, jouant sur la somptuosité de la matière comme les autres Exclusifs lancés en 2007 plutôt que sur les accords abstraits de la grande parfumerie classique, Sycomore s’avère néanmoins plus complexe qu’on ne pourrait le croire à la première rencontre. Sans innover radicalement dans un champ maintenant assez encombré – du Vétiver Tonka d’Hermès parfumé à la noisette et au café, au Sel de Vétiver de The Different Company en passant par la réédition, peut-être un peu maigrelette par rapport à l’original, du mythique Vétiver de Givenchy, sans oublier le Vétiver Extraordinaire de Frédéric Malle avec ses notes de cèdre et de bougie froide, l’inattendu Vétiver Oriental de Serge Lutens et le Vétiver de référence, celui de Guerlain, un peu appauvri aujourd’hui – le Sycomore de Chanel apporte une réponse tranquille, sobre et chic à la question du sexe du vétiver. Il est hermaphrodite.


[1] Ce Sycomore reprend le nom, mais pas la formule, d’un parfum de Chanel des années 1930. Voir l’analyse de l’original par Octavian Sever Coifan (en anglais).


Image: Gabrielle Chanel et Serge Lifar (1937.

The Gender of Scent (II): Guerlain Jicky



Is it by chance that one of the first fragrances to have burst forth from the shackles of apothecaries’ recipes, the only one to have been continuously produced since its launch in 1889, has been hesitating for so long on its gender attribution that its sex is still undetermined? A bit like the Eiffel Tower, born on the same year, phallic yet feminine in that its base recalls the garter-belt (according to a stubborn urban myth, Gustave Eiffel was inspired by it when designing the tower).

To this day, no one really knows if Guerlain’s Jicky was first meant for men or for women: at the time, all scents were shared.
Its very name expresses its original hermaphroditism: it was the nickname of Jacques, Aimé Guerlain’s nephew and assistant, but also of a young girl whom Aimé had met when he was studying in England, and to whom he’d proposed marriage. The girl’s parents refused, and Aimé never married, or so the story goes.

In his Perfume Legends, Michael Edwards ponders at some length on the hesitation that surrounded Jicky’s birth. According to Philippe Guerlain, whom he quotes, “Jicky was such a revolutionary perfume that it seemed more masculine to Gabriel [Guerlain, who was in charge of business], Aimé’s brother. Jicky was a bit harsher that the sweet flowery notes of the time. (…) Also, certainly, the blue colour, the strict and straight lines of the original bottle suggest that it was conceived for a man.” However, men were reluctant it seems to accept the fragrance. “When they realized that Jicky was too modern for men, they decided to target it towards women”, adds Philippe Guerlain.

It is interesting to note that the matter of Jicky’s gender identity revolves around the modernity of this abstract fragrance: abstraction, i.e. the absence of a natural referent, was not entirely novel. But Jicky’s predecessor in that field, Houbigant’s Fougère Royale (1881), was still named after a plant – though it is a fantasy attribution, since ferns have no smell. Whereas the name of Jicky didn’t refer to any smell at all.

Who, then, of men or women, would be ready to embrace such modernity? “It is only in 1912 that women’s magazines start singing its praises”, explains Colette Fellous, the author of a book on Guerlain (editions Denoël, 1989), also quoted in Perfume Legends. Women, whose taste had meanwhile been educated by great abstract compositions saturated with synthetic compounds like Coty’s L’Origan (1905) or Guerlain’s Après l’Ondée (1906) and L’Heure Bleue (1912), were clearly more ready to move onto uncharted territories, just at they would in fashion – Poiret had already inspired them to drop the corset, and Chanel’s revolution was just around the corner. Men, on the other hand, were still encased in the stiff black suits inherited from the 19th century…

However, Jicky was, and is still shared by men and women: any perfume that can boast, among its wearers, both Sean Connery and Brigitte Bardot, or Roger Moore and Jacqueline Kennedy Onassis, either suffers from serious gender dysmorphia or sings with the voice of an angel – who, as we all know, has no sex.

Like Balzac’s Seraphitus/Seraphita, with whom Luca Turin compares it in his first, French language guide, Jicky’s identity has never stopped swinging back and forth. Since its birth, the combination of lavender and coumarin, the aromatic note of rosemary, the green, lacteous roundness of geranium are accords that have been widely used in masculine fragrances. But the lushness of its jasmine and rose heart, the edibility of vanillin, cinnamon-tinged benzoin and smoky opoponax give it an amplitude that escapes any rigid classification.

Of course, Jicky hasn’t survived for over a century without undergoing a few tweaks, if only because the animal substances used at the time (civet, and almost certainly musk as a fixative, although it isn’t listed in the notes) are no longer available. I own a perfume that was probably produced pre-war (it doesn’t say “perfume” on the label, which is the case for post-WWII fragrances, because this is the period in which colognes and eaux de toilette were launched in the same range).
The smell has miraculously remained intact, so that I was able to compare it with a modern extrait – which fortunately remains as faithful as possible to the original. The older scent, as is almost always the case, has a smoothness and a depth that can only come when natural musk is used, as its makes all the notes pop out. The quality of the lavender seems to be a bit different. Real civet brings animalic notes that would certainly not be considered tolerable in the modern market.
A member of Makeup Alley once stated, very funnily, that to her, Jicky smelled “like a cat crapped in the lavender patch” – and she was talking about the current fragrance. Which only goes to show how Jicky, thought to be too modern at its launch, has remained improper, precisely in what links it to the near-extinct tradition of classical perfumery: the inclusion of “dirty” notes, which transform sweet-smelling blends into alchemical compositions, and allow stench, distilled in infinitesimal doses, to enrich the exquisite suavity of flowers and spices.


Image: Victorian Lady 1889, courtesy of In Style 19th Century Fashion

Le sexe des senteurs (II): Jicky de Guerlain



Est-ce un hasard si l’un des premiers parfums à s’être extraits de la gangue des recettes d’apothicaire, le seul qui ait été continûment fabriqué depuis son lancement en 1889, ait si longtemps hésité sur son genre que son sexe reste encore déterminé ? Un peu, en quelque sorte, comme la tour Eiffel née la même année, phallique dans son élancement, féminine dans sa base qui évoque le porte-jarretelles (un mythe urbain tenace veut que Gustave Eiffel s’en soit inspiré pour le dessin de la tour).

On ne sait toujours pas à ce jour si le Jicky de Guerlain a été d’abord destiné aux hommes ou aux femmes : l’époque hésitait encore à cibler un marché, alors que jusque-là, toutes les senteurs étaient indifféremment partagées.
Même son nom participe de cet hermaphrodisme originel : ce serait tout à la fois le surnom de Jacques, neveu et assistant de son créateur Aimé Guerlain, et celui d’une petite Anglaise que ce dernier aurait demandée en mariage lors de ses études en Grande-Bretagne, et que sa famille lui aurait refusée. Aimé Guerlain, en souvenir d’elle, raconte-t-on, ne se serait jamais marié…
Dans ses Parfums de Légende, Michael Edwards se penche longuement sur l’hésitation qui entoure la naissance de Jicky. D’après Philippe Guerlain, qu’il cite, « Jicky était un parfum si révolutionnaire qu’il semblait plus masculine à Gabriel [Guerlain, chargé de la commercialisation des produits], le frère d’Aimé. Jicky était un rien plus dur que les notes fleuries douces de l’époque. (…) Certainement aussi, la teinte bleue, la forme stricte aux lignes sévères et droites du flacon d’origine suggèrent qu’il fut pensé pour un homme. » Cependant, les hommes rechignaient, semble-t-il, à accepter ce parfum. « Quand ils réalisèrent que Jicky était trop moderne pour les hommes, ils décidèrent de le faire passer dans le domaine féminin », ajoute Philippe Guerlain.

Il est intéressant que la question de l’attribution sexuelle de Jicky tourne autour de la modernité de cette senteur abstraite : si l’abstraction, c’est-à-dire l’absence de représentation d’une odeur n’existant pas dans la nature, n’était pas radicalement nouvelle, le prédécesseur de Jicky, Fougère Royale d’Houbigant (1881), portait encore un nom « naturel », même s’il était tout à fait fantaisiste – la fougère n’a pas d’odeur. Alors que le nom de Jicky ne renvoyait à aucune référence odorante.
Qui, donc, des hommes ou des femmes, serait prête à adopter cette modernité ? « Ce ne fut qu’en 1912 que les magazines féminins commencèrent à chanter ses louanges », précise Colette Fellous, auteur d’un ouvrage sur Guerlain (éditions Denoël, 1989), toujours citée par Parfums de Légende. Ce sont donc les femmes, entre temps éduquées par d’autres grands abstraits fortement saturés de matières synthétiques comme L’Origan de Coty (1905), Après l’Ondée (1906) ou L’Heure Bleue de Guerlain (1912), sont prêtes à se lancer dans de nouveaux territoires olfactifs – tout comme, côté mode, elles entament leur révolution. Poiret leur a déjà fait tomber le corset, et la révolution Chanel point déjà à l’horizon, tandis que les hommes restent désespérément engoncés dans des costumes hérités du 19ème siècle…

Hommes et femmes ne cesseront cependant pas de se partager Jicky : tout parfum pouvant être porté à la fois par Sean Connery et Brigitte Bardot, Roger Moore et Jacqueline Kennedy Onassis, témoigne soit d’une franche confusion dans son identité sexuelle, soit d’une rare harmonie – on penche pour la dernière hypothèse : Jicky est du sexe des anges qui, comme chacun sait, n’en ont pas.

Comme le Seraphitus/Seraphita de Balzac qu’évoque Luca Turin dans son premier Guide à son sujet, le sexe de Jicky ne cesse à ce jour d’osciller. Depuis sa naissance, l’association de la lavande et de la coumarine, la note aromatique du romarin, la rondeur verte et lactée du géranium sont des accords souvent utilisés dans la parfumerie masculine. Mais la richesse du cœur de jasmin et de rose, la gourmandise de la vanilline, du benjoin aux accents de cannelle et de l’opoponax un peu fumé lui confèrent un arrondi, une ampleur qui le font échapper à toute classification…

Évidemment, Jicky n’a pas pu traverser plus d’un siècle sans subir quelques modifications, ne serait-ce que parce que les matières animales utilisées à l’époque (la civette, et certainement le musc comme fixatif, même s’il n’est pas listé dans les notes) ne sont plus disponibles. Je possède un flacon qui date probablement de l’avant-guerre (il n’est pas indiqué « parfum » sur l’étiquette, ce qui est le cas dans les compositions d’après-guerre, au moment où l’on lance des eaux de toilette et des eaux de Cologne dans la même gamme). L’odeur a miraculeusement survécu aux années : j’ai donc pu la comparer à un parfum moderne, qui reste aussi fidèle que possible, heureusement, à la composition d’origine. L’ancien, comme presque toujours, possède un lié et une profondeur que seul peut conférer l’usage du musc naturel qui met toute les notes en relief. La qualité de la lavande semble être un peu différente. La vraie civette qui, très diluée, n’est plus fécale mais florale, apporte des relents fortement animaux que le marché contemporain ne considérerait plus acceptables.

Une commentatrice du forum MakeupAlley a dit un jour, très drôlement, que pour elle, c’était « comme si un chat avait chié dans une touffe de lavande » -- et elle parlait du parfum actuel. C’est dire à quel point Jicky, jugé trop moderne lors de son lancement, reste inconvenant aujourd’hui précisément parce qu’il se rattache à une tradition mourante de la parfumerie classique : celle d’inclure des notes « sales » qui transforment le sent-bon en composition alchimique, de permettre à la puanteur, distillée en dose infime, d’enrichir la suavité des fleurs et des aromates.

Image: Renée Vivien et Natalie Clifford Barney, courtesy The Renée Vivien Page

The Gender of Scent (I)


Are smells gendered?


Not until the late 19th century and the birth of modern perfumery. Cologne and other scented compositions are shared, although after the French Revolution, floral scents are mostly reserved to women, whom poetry links to the fragile charms of Nature and of fragrant blossoms.
This is the time when men switch to black: signs of seduction and conspicuous consumption become the exclusive province of women. While feminine perfumery explodes at the turn of the 20th century, the masculine market will only start developing after World War II.


Why are some notes, accords or families thought of as more masculine? It may be precisely because perfumery became an industry in the late 19th century: as traditional recipes turned into products with trademarked names, they had to be targeted towards a specific market.

If feminine fragrances draw on practically every available ingredient, some dominant notes seem to have veered towards the masculine to such an extent that their cultural connotations make us think of them as especially virile, at least in the Western world (in other cultures with a strong tradition in perfumery, such as India, the Middle-East or North Africa, men wear floral or animalic scents – rose, jasmine, musk, amber…).

For instance, when you look at the chronology of major launches, you notice that lavender fragrances have been targeted towards men since the early 20th century, especially in the Anglo-Saxon world, then synonymous with male elegance: Guerlain’s Mouchoir de Monsieur (1904), Atkinson’s English Lavender (1910), Yardley’s Old English Lavender (1913), Mennen’s Skin Bracer (1931), Caron’s Pour un Homme (1934). The fougère family, a combination of lavender and coumarin (which smells of fresh tobacco and hay) is already firmly on the masculine side of the gender divide.

Why lavender?
For several centuries, it has been used to perfume linen and bath water – the word “lavender”, which dates back to the 13th century, comes from the same Latin root as the French word for “wash”, “laver”. It is thus associated to the very smell of cleanliness, a rising value in the middle classes, who want to distance themselves from the unwashed masses. The late 19th century is obsessed with the smells of the different social classes. Pasteur’s discoveries, as well as the democratization of hygienic practices and sanitary equipment, foster a “clean” revolution of which lavender may be the aromatic emblem.
To splash on a lavender scent – especially when it is combined with coumarin to create a soapy smell – is to demonstrate one’s impeccable hygiene, without casting aspersion’s on one’s virility.
In his Secret of Scent, Luca Turin describes one of the very first modern fragrances – modern in the sense that it is abstracts and uses the new synthetic compounds --, Houbigant’s Fougère Royale (1881), as “the reference smell of scrubbed bathrooms”, of “a freshly shaven daddy. But wait! There’s a funny thing in there, something not altogether pleasant. It’s a touch of natural civet, stuff that comes from the rear f an Asian cat and smells like it does. Suddenly I understand: we’re in a bathroom! The idea here is shit, and what’s more, someone else’s shit, that faint shock of slightly repellent intimacy you get when you go to the loo at someone’s dinner party and smell the air. Small wonder Fougère Royale was such a success. At a distance, he who wears it is everyone’s favourite son-in-law; up close, a bit of an animal.”
This whiff of civet, which can also be found in Guerlain’s immortal Jicky, may be there precisely to remind us of the organic smells denied by the salubrious lavender.

The fougère family, enriched by the aromatic fougère sub-class (epitomized by Fabergé’s best-selling Brut and Paco Rabanne Pour Homme) has practically become synonymous with masculine fragrance: even compositions initially intended for women, such as the aforementioned Jicky or Dana’s Canoe (1935), were appropriated by men.

However, notes associated with more masculine endeavours or environments – leather, tobacco, wood – are not reserved to men. But if they are included in the feminine repertoire in the 1920s with Tabac Blond, Cuir de Russie, Bois des Iles or Habanita, it is precisely to signal women’s emancipation, meaning that their masculine connotations are maintained.

Conversely, we can wonder if chypres, originally intended for women, could be launched today as feminine fragrances (notwithstanding the stringent restrictions of the use of oak moss), at any rate, the great post-war couture chypres like Bandit, Jolie Madame, Miss Dior or Diorling. Despite their floral heart, their leathery/aromatic top notes, underlined by the astringent bitterness of the oak moss base, have a harshness, a boldness that is no longer associated with feminine perfumes. Towards the late 50s, chypre ventures into masculine territory while it loses momentum in the feminine side of the aisle: Estée Lauder’s Aramis (1965) is the archetype of the virile, powerful chypres who hide their hairy chests under pinstriped shirts.

Oddly, while women have gained a greater social, economic and sexual independence – in a word, the right to wear pants – it seems as though most feminine and masculine scents had now evolved, after a series of mutations and specializations, into forms as distinctive as those that distinguish the male and female in certain insect species. Outrageous femininity on one side, bland generic fresh woodiness on the other. The parenthesis of the 60s, where the success of Dior’s Eau Sauvage seemed to herald an era of shared fragrances as “unisex” as blue jeans, has been closed.

A few mainstream launches – Dior Homme with its powdery iris, Jean-Paul Gaultier’s orange-blossomed Fleur du Mâle – are started to blur the limits of gender. But it is niche perfumery that resumes the hermaphrodite, pre-modern tradition of fragrance by offering non-gender specific compositions. If the gender divide is not entirely missing, it refers more to personal/cultural connotations: with their identical packaging, they can be picked both by women who like to steal men’s eaux de toilette, and by men who want to break free from gender restrictions.

Image: Claude Cahun (1894-1954), self-portrait, courtesy of www.coffeecoffeeandmorecoffee.com

Le sexe des senteurs (I)


Les parfums ont-ils un sexe ?

Jusqu’à la fin du 19ème siècle – donc la naissance de la parfumerie moderne -- pas particulièrement. Les eaux de Cologne et autres compositions odorantes sont partagées, bien qu’après la Révolution Française, les senteurs florales soient plutôt réservées aux femmes, associées par la poésie aux charmes de la nature et des corolles embaumées.
C’est à cette époque que les hommes passent à l’uniforme noir, abandonnant tout signe de séduction et luxe ostentatoire à leurs compagnes. Aussi, le marché spécifiquement masculin mettra longtemps à se développer alors qu’il explose côté féminin dès la Belle Époque (il faudra attendre l’après seconde guerre mondiale pour que les parfumeries ouvrent un rayon masculin). C’est peut-être d’ailleurs précisément parce que la parfumerie s’industrialise à la Belle Époque – on passe des recettes génériques aux produits dotés d’une marque de commerce – qu’il faut déterminer la clientèle ciblée.


Si les parfums féminins exploitent pratiquement tous les ingrédients, certaines notes dominantes semblent cependant avoir glissé du côté des hommes à tel point que leurs connotation culturelles nous les font concevoir comme particulièrement masculines, du moins en Occident (ainsi, dans les autres cultures dotées d’une forte tradition du parfum, Inde, Maghreb, Moyen-Orient, les hommes portent volontiers des odeurs florales ou animales – rose, jasmin, musc, ambre…).

Qu’est-ce qui fait donc qu’on associe telle note, tel accord, telle famille au masculin ?
Lorsque l’on consulte une chronologie des lancements, on s’aperçoit, par exemple, que les senteurs de lavande ont été associées aux hommes dès le début du 20ème siècle, en particulier dans le monde anglo-saxon, alors synonyme d’élégance masculine : Mouchoir de Monsieur de Guerlain (1904), English Lavender d’Atkinson (1910), Old English Lavender de Yardley (1913), Skin Bracer de Mennen (1931), Pour un Homme de Caron (1934). La famille des fougères, caractérisée par l’association lavande-coumarine (un ingrédient à l’odeur de tabac frais et de foin) campe déjà fermement dans le camp viril.


Pourquoi la lavande ? Utilisée depuis longtemps pour parfumer le linge et l’eau du bain – le mot « lavande », qui remonte au 13ème siècle, serait issu de la même racine que « laver » --, elle est associée à l’odeur de propreté, valeur montante dans les classes moyennes qui cherchent à se distinguer des masses mal lavées. Le 19ème siècle, comme on peut le constater notamment dans les romans de Zola, est véritablement obsédé par les odeurs qui caractérisent les différentes classes sociales. Les découvertes de Pasteur, la démocratisation des pratiques hygiéniques et des installations sanitaires engendrent une véritable révolution de la propreté dont la senteur fusante et aromatique de la lavande est peut-être l’emblème olfactif.
S’asperger d’une odeur de lavande, surtout lorsqu’elle est associée à la coumarine qui lui confère un côté savonneux (non-comestible, précise Luca Turin dans son Guide), c’est donc témoigner de son hygiène impeccable, sans pour autant sombrer dans la coquetterie, apanage purement féminin.
Le même Luca Turin, dans son Secret of Scent, souligne cependant que l’un des premiers parfums modernes – c’est-à-dire abstrait, et faisant appel à des notes synthétiques --, la Fougère Royale d’Houbigant (1881), est « l’odeur de référence des salles de bain astiquées », du « papa fraîchement rasé. Mais attendez ! Il y a un truc curieux là-dedans, quelque chose de pas tout à fait agréable. C’est une touche de civette naturelle, extraite de l’arrière-train d’un félin asiatique et qui en a l’odeur. Soudain, je comprends : on est aux toilettes ! L’idée, c’est celle de la merde, et qui plus est, de la merde d’un autre, ce léger choc d’intimité légèrement répugnante qu’on éprouve lorsqu’on va aux toilettes quand on dîne chez quelqu’un, et qu’on sent l’air. Pas étonnant que Fougère Royale ait connu un tel succès. De loin, celui qui la porte est le gendre préféré de tout le monde ; de près, c’est un peu un animal. »
Ce relent de civette, que l’on retrouve également dans l’immortel Jicky de Guerlain, est peut-être là pour rappeler, justement, cette souillure que la salubre lavande dénie dans le même mouvement.

Toujours est-il que la famille des fougères, enrichie de la branche des fougères aromatiques (dont le best-seller Brut de Fabergé, mais aussi Paco Rabanne pour Homme, sont les exemples les plus populaires) est devenue pratiquement synonyme de parfumerie masculine : même des compositions initialement destinées aux femmes, comme Jicky, justement, ou le plus tardif Canoë de Dana (1935), ont basculé du côté des hommes.

En revanche, les notes associées à des activités ou à des environnements plus masculins – cuir, tabac, bois – ne sont pas réservées aux hommes. Mais si elles font leur entrée au répertoire féminin dès les années 1920 avec Tabac Blond, Cuir de Russie, Bois des Iles ou Habanita, c’est précisément pour marquer l’émancipation des garçonnes, ce qui marque bien leurs connotations viriles.

Inversement, on peut se demander si les chypres, destinés d’entrée de jeu aux femmes, pourraient aujourd’hui être lancés en parfumerie féminine (nonobstant les restrictions sévère de l’usage de la mousse de chêne dans les réglementations européennes), en tous cas certains des grands chypres couture de l’après-guerre, comme Bandit, Jolie Madame, Miss Dior ou Diorling. Certes, leur cœur est floral, mais leur attaque cuirée et/ou aromatique, soulignée par l’amertume astringente de la mousse de chêne à la base, a quelque chose de dur qui ne correspond plus aux codes de la féminité parfumée. D’ailleurs, à partir de la fin des années 1950, le chypre s’aventure de plus en plus du côté des hommes tandis que le genre s’étiole du côté féminin : Aramis d’Estée Lauder (1965) est l’archétype de ces chypres virils, puissants, qui cachent leur torse velu sous des chemises à rayures banquier.

Curieusement, alors que les femmes ont conquis une plus grande indépendance sociale, économique et sexuelle – bref, le droit de porter la culotte -- tout se passe comme si la plupart des parfums féminins et masculins d’aujourd’hui avaient évolué, au terme d’une série de mutations et de spécialisations, vers des formes aussi différentes que celles qui distinguent le mâle et la femelle chez certains insectes. Signes de féminité outrancière d’un côté, insipidité du frais-boisé générique de l’autre… La parenthèse des 60s, où, avec le succès de l’Eau Sauvage de Dior, annonçait l’ère d’un parfum aussi « unisexe » que le jean, s’est refermée.

Quelques lancements grand public – on pense notamment à Dior Homme avec ses notes d’iris poudré ou à la Fleur du Mâle de Jean-Paul Gaultier avec sa fleur d’oranger – brouillent les pistes. Mais c’est dans la parfumerie de niche que l’on renoue, en quelque sorte, avec l’hermaphrodisme des compositions parfumées d’antan, en proposant des fragrances sans les dédier à l’un ou à l’autre sexe en particulier. Si la spécialisation des genres n’en est pas entièrement absente, c’est aux références personnelles/culturelles qu’elle renvoie : la stratégie marketing demeure en sourdine, et l’uniformité des flacons permet de même manière aux femmes qui aiment piquer leurs eaux aux hommes, et aux hommes qui ont envie de briser le carcan, d’ouvrir la gamme de leurs choix.


Image: La chanteuse Suzy Solidor (1900-1983), courtesy www.etonnants-voyageurs.net

mercredi 11 juin 2008

Who's your favourite perfumer?

The question left me quite speechless. I had just met an exquisite young woman at a literary festival in Saumur (France), Ingrid Astier whose La Cuisine Inspirée had been nominated for an award given out by Guerlain. Ingrid, who is an expert in flavours and odours, is, of course, very interested by fragrances. We’d been having the kind of rambling, rhapsodic conversation two perfumistas launch into when they meet, comparing tastes and areas of knowledge, throwing names around. Then Ingrid asked me the question: “Who’s your favourite living perfumer?”
Silence ensued.

I ended up naming the Serge Lutens-Christopher Sheldrake duo, for whom, if you’ve been reading my posts, you’ve guessed I have a soft spot. But they’re not “a” perfumer: there are two of them, and not much is known about the dynamics of their teamwork – though some ideas, treated in a very different style, seem to have drifted in Christopher Sheldrake’s wake in Chanel’s Exclusives.

Among the departed, I could quote a few names, starting with Germaine Cellier: Fracas, Bandit, Vent Vert, Jolie Madame, Fleeting Moment and Coeur Joie are all in my collection. Unlike Edmond Roudnitska who seems to have always reworked, refined and switched around the same accords from Femme to Dior-Dior, Cellier went in several different directions, but her style, her balls, her way of putting perfumes together in a seemingly slapdash fashion, of daring the overdose (of tuberose in Fracas, isobutylquinoline in Bandit, galbanum in Vent Vert) are easily identifiable.
I could also quote François Coty and his Fauvist daring in the use of synthetics, or Jacques Guerlain and his sensuous, smooth, sometimes melancholy blends: both worked for their own houses and could allow themselves the luxury of pursuing their own distinctive style. Ernest Beaux might not have developed his signature aldehydes if it hadn’t been for his fruitful collaboration with Gabrielle Chanel – but then again, he was already working on them, as his Rallet N°1, the template of Chanel N°5, confirms.

Nevertheless, as a perfumer who lived the golden age of couture perfumery while working for the Roure laboratories once told me, there was more freedom then. Couturiers usually worked with the same lab, often with the same nose: they launched what they liked, guided by the head of their perfumery department, without consulting marketing (there was none) or consumer panels. Perfumers could thus develop a more consistent, more personal style – even though I’m sure that some were told “I want something in the style of N°5 or Arpège”…

As for active perfumers, those whose compositions I admire are almost too many to be named, but there aren’t many whose style I can discern clearly enough to say: “That’s it, that’s my favourite”. We all know by now that they are reined in by several constraints – time, money, marketing briefs aimed at pleasing the greatest possible number of consumers. None of which favours trailblazing. That said, the innovators were probably are rare yesterday as they are today: time has sorted out the classics, out of the myriad launches of the 20th century. In these pages, I hope to be able to pinpoint a few fragrances that are distinctive enough to become tomorrow’s classics.



Image: courtesy of http://etc.usf.edu/clipart

mardi 10 juin 2008

Quel est votre parfumeur préféré ?




La question m’a prise de court. Je venais de faire une rencontre délicieuse aux Journées Nationales du Livre et du Vin de Saumur : Ingrid Astier, dont La Cuisine Inspirée avait été sélectionné pour le prix Guerlain. Ingrid, experte en saveurs et en senteurs, s’intéresse forcément (et sur le plan littéraire) aux parfums. Nous nous étions lancées dans le genre de conversation rhapsodique, un peu décousue, qu’ont deux passionnés qui se trouvent, comparent leurs goûts et leurs connaissances, lancent des noms.
Puis cette question d’Ingrid : « Quel est votre parfumeur vivant préféré ? ».
Silence.
J’ai fini par citer le tandem Serge Lutens-Christopher Sheldrake, pour lequel mon goût, si vous avez suivi ce blog, est évident. Mais il ne s’agit pas d’un parfumeur : ils sont deux, et la dynamique de leur collaboration reste assez discrète, même si l’on peut déceler dans les Exclusifs de Chanel quelques idées, autrement appliquées et dans un style très différent, que Christopher Sheldrake a sans doute entraînées dans son sillage…

Alors que parmi les grands disparus, je pourrais citer quelques noms. Le plus évident est celui de Germaine Cellier : Fracas, Bandit, Vent Vert, Jolie Madame, Fleeting Moment/ La Fuite des Heures et Cœur Joie figurent tous dans ma collection. Contrairement à Edmond Roudnitska qui semble toujours avoir travaillé, affiné, permuté les mêmes accords de Femme à Dior-Dior, Cellier a beaucoup varié, mais sa patte, son culot, sa façon d’assembler des parfums à l’emporte-pièce, d’oser la surdose (tubéreuse dans Fracas, isobutyl-quinoléine dans Bandit, galbanum dans Vent Vert) sont aisément reconnaissables.
Je pourrais aussi citer François Coty et son audace fauviste dans l’usage des synthétiques ou Jacques Guerlain et ses fondus sensuels parfois mélancoliques : tous deux, travaillant pour leur propre maison, pouvaient se permettre d’approfondir leur propre style. Ernest Beaux n’aurait sans doute pas développé sa signature – aldéhydes qui font entrer les notes florales, boisées, cuirées en effervescence – sans sa fructueuse collaboration avec Gabrielle Chanel, bien qu’en fait, lorsqu’on sent son Rallet N°1, on y retrouve la matrice du N°5.

Mais justement : comme me le faisait remarquer un parfumeur toujours en activité qui a connu, aux laboratoires Roure, la grande époque du développement des parfums de couturiers, la création se faisait alors dans un plus grand climat de liberté. Le couturier travaillait en général avec une maison de composition, sinon un parfumeur : il lançait ce qui lui plaisait, éventuellement sous les conseils du directeur de sa section parfumerie, sans consulter ses experts marketing (il n’en avait pas) ou un panel de consommatrices. Les parfumeurs pouvaient donc se permettre de travailler un style plus cohérent, plus personnel – même si je ne doute pas une seconde que certains se sont entendu dire « Je voudrais un truc dans le genre du N°5 ou d’Arpège »…

Quant aux parfumeurs travaillant aujourd’hui, ceux dont j’admire les compositions sont presque trop nombreux pour être cités, mais rares sont ceux dont je puisse déceler le style assez nettement pour dire : « voilà, c’est mon préféré ». Ils œuvrent, on l’a assez dit, sous de nombreuses contraintes – temps, argent, briefs marketing plus axés sur le souhait de ratisser aussi large que possible, que sur celui de défricher de nouveaux territoires. Cela dit, les novateurs étaient sans doute aussi rares hier qu’ils le sont actuellement : le temps a fait le tri parmi les myriades de lancements des temps jadis. Au gré de ces chroniques, j’espère pouvoir repérer ceux qui se démarquent assez pour devenir les classiques de demain.
Image: Coloriage d'un nez, www.teteamodeler.com

dimanche 8 juin 2008

A Tale of Three Myrrhs


Although it has been used in perfumery since Ancient Egypt, myrrh hasn’t played much of a role in classic perfumery, and is seldom a star ingredient in contemporary compositions, though it plays a supporting role in some orientals, notably Opium. Guy Robert doesn’t include it in his list of “essentials” (Les Sens du Parfum, éditions Eyrolles); neither does Jean-Claude Ellena (Que Sais-Je : Le Parfum, PUF).

Myrrh is a complex and fascinating ingredient, with facets of pine resin (pinene), citrus (limonene), cinnamon (cinnamaldehyde), cumin (cuminaldehyde) and clove (eugenol). However, it is particularly difficult to handle as it is very tenacious but not very volatile, which means it significantly alters compositions but doesn’t give off much sillage. Because of this, it seems that the only perfumers to take an interest in it are those who want to stray from the path of classic perfumery, to explore its oriental, archaeological roots.



L’Eau Trois by Diptyque: the smell of the Mediterranean seaside



In 1975, Diptyque launched L’Eau Trois, a scent inspired by the smells of the mountains of Northern Greece: myrrh is married to the resinous and spicy accords of myrtle, cistus (from which labdanum, a vegetal substitute of amber, is extracted), pine, laurel, oregano, thyme and rosemary. If the Atlantic coast smells of the sea, the Mediterranean coast smells of the earth… With its gasoline top note and powerfully balsamic accords, L’Eau Trois captures the combustible smells of the overheated garrigue, where you feel that just by striking a match you could set whole hills ablaze. This is myrrh set in Nature, a raspy, slightly medicinal anti-perfume, as salubrious as an ancient potion.
Update: At the time of writing, I hadn't realized that L'Eau Trois was among the fragrances to be discontinued by Diptyque. Which is a shame. Apologies to anyone who was tempted to sample it.



La Myrrhe by Serge Lutens: a post-modern N°5



Ironically, when Serge Lutens the Orientalist tackles myrrh, it is to strip it from its exotic connotation. Though he explicitly refers in interviews to the myth of Myrrha – the red colour of the fragrance is meant to evoke the tears of the incestuous daughter changed into a tree by compassionate gods – Lutens modernizes the note by a massive injection of mandarin aldehydes. Their juiciness emphasizes myrrh’s citrus-like compound and refreshes its balsamic facet: the aldehydic frost lifts it and makes it shimmer under the aldehydic frost. Sandalwood, amber and a beeswax base warm up the base notes of this unexpected composition, creating an almost gustatory contrast with its anise notes. A very great Lutens-Sheldrake fragrance, perhaps one of the most stunning of the collection, precisely because it confounds our expectations: where we expected Oriental splendour, we get a post-modern rewrite of Chanel N°5…



Myrrhe Ardente by Annick Goutal: edible smoke



Annick Goutal’s Myrrhe Ardente, one of the three original Les Orientalistes fragrances (a fourth, Musc Nomade, has recently been added), refers more explicitly to the roots of myrrh as a mystical substance: with Ambre Fétiche (gold) and Encens Flamboyant (frankincense), it is one of the three gifts borne by the Wise Men to the child Jesus. In the gift box of three parfums launched for Christmas, the first letter of each name is reproduced to form the word “AME” (French for “soul”), further underlining the intention of the collection.
In Myrrhe Ardente, myrrh’s spicy, resinous odour is softened with the suave hay notes of the Tonka bean and vanilla-y benzoin, on a slightly animalic honey base. Its anise-y, sweet top notes give it a rounded, candy-like quality. The drydown unveils a slightly smoky, woody, incense-laced base common to all the Orientalistes.
Of the four fragrances of this remarkably well-balanced, attractive collection, Myrrhe Ardente is undoubtedly the most solar, playful and, to my mind, the most interesting.

Thanks to Octavian Sever Coifan (1000fragrances) who made me smell myrrh resin and explained the use of myrrh in perfumery.

Image: Théodore Chassériau, Tépidarium (1853), Musée d’Orsay.

Les trois reines myrrhes


Bien que son usage soit attesté en parfumerie depuis l’Égypte ancienne, la myrrhe n’a pas joué un grand rôle dans la parfumerie classique – bien qu’elle soit l’une des clés de voûte d’Opium, qui exacerbe ses notes de cannelle -- et elle est rarement mise en vedette dans les créations contemporaines. Guy Robert ne l’inclut pas dans la liste des « essentiels » destinés aux parfumeurs débutants (Les Sens du Parfum, éditions Eyrolles) ; elle ne figure pas non plus dans la palette de Jean-Claude Ellena (Que Sais-Je : Le Parfum, PUF).

Il s’agit pourtant d’un ingrédient fascinant et complexe, aux facettes de résine de pin (pinène), de cannelle (aldéhyde cinnamique), de cumin (aldéhyde cuminique), d’agrumes (limonène) et de clou de girofle (eugénol). La myrrhe est cependant d’une manipulation particulièrement difficile, car elle est à la fois très tenace et peu volatile : elle altère radicalement les compositions sans livrer beaucoup de sillage. Pour cette raison, les parfumeurs qui s’y sont intéressés sont ceux qui poussent leurs recherches hors des sentiers battus de la parfumerie classique, pour explorer ses racines orientales, quasi-archéologiques.



L’Eau Trois de Diptyque : la myrrhe-garrigue



Dès 1975, Diptyque propose L’Eau Trois, inspirée par les senteurs des montagnes du Nord de la Grèce : la myrrhe est mariée aux accords résineux et épicés de myrte, du ciste (dont est extrait le labdanum, l’un des substituts végétaux de l’ambre), du pin, du laurier, de l’origan, du thym et du romarin. On dit qu’au bord de l’Atlantique, c’est la mer qui sent, et qu’au bord de la Méditerranée, c’est la terre… Avec son odeur de pétrole en note de tête et ses puissants relents balsamiques, l’Eau Trois capte à la perfection les senteurs combustibles de la garrigue surchauffée, où l’on a l’impression qu’une simple allumette pourrait embraser des collines entières. C’est la myrrhe côté nature, un anti-parfum un peu âpre et médicinal, salubre comme une potion antique…
Mise à jour : Lorsque j'ai rédigé ce post, j'ignorais que L'Eau Trois faisait partie des produits retirés du marché par Diptyque. C'est dommage, et je présente mes excuses à ceux de mes lecteurs qui auraient été tentés de la découvrir.



La Myrrhe de Serge Lutens : un N°5 postmoderne



Paradoxalement, lorsque l’orientaliste Serge Lutens s’y attaque, c’est précisément en dépouillant la myrrhe de ses connotations exotiques. Quoiqu’il évoque explicitement, dans ses interviews, le mythe de Myrrha – la couleur rouge du jus évoquerait les larmes de la fille incestueuse transformée en arbre par des dieux compatissants – Lutens la modernise par une injection massive d’aldéhydes mandarine en notes de tête, qui accentue le composant « agrumes » de la myrrhe, rafraîchissent radicalement son côté balsamique et la fait vibrer sous une pluie de givre. Le santal, l’ambre et une base miel d’abeille réchauffent le fond de cette composition inattendue, qui joue sur une sensation de chaud-froid presque gustative, avec ses notes anisées. Du très grand Lutens-Sheldrake, sans doute l’un des parfums les plus étonnants d’une gamme qui recèle des chefs-d’œuvre, précisément parce qu’elle déjoue les attentes : là où l’on croyait découvrir une senteur d’Orient, on tombe sur une réécriture postmoderne de Chanel N°5…



Myrrhe Ardente d’Annick Goutal : l’aromate comestible



La Myrrhe Ardente d’Annick Goutal, présentée dans le cadre de sa nouvelle collection Les Orientalistes, se réfère plus explicitement aux traditions olfactives antiques : avec Ambre Fétiche et Encens Flamboyant, ce sont les cadeaux des Rois Mages à l’enfant Jésus (l’or, l’encens, la myrrhe) qui sont évoqués. Le coffret d’extraits proposé lors du lancement, qui reprend, sur les flacons, la première lettre des ingrédients pour former le mot « AME », indique d’ailleurs l’intention de la collection…
Myrrhe Ardente, adoucie des notes suaves de foin de la fève tonka et de celles, vanillées, du benjoin, sur un fond miellé un peu animal, n’a d’ardente que le nom : un facette anisée, sucrée fait pencher la composition vers la confiserie en ouverture. Le fond recèle un côté un peu fumé, boisé, commun à toute la gamme des Orientalistes. Des quatre parfums d’une collection pleinement réussie (s’y est ajouté récemment Musc Nomade), Myrrhe Ardente est sans doute le plus solaire, le plus enjoué et, à mon sens, le plus intéressant.

Remerciements à Octavian Sever Coifan (1000fragrances) qui m’a fait sentir la résine de myrrhe et expliqué son usage en parfumerie.

Image : Martial Raysse, Made in Japan, La grande odalisque (1964)

jeudi 5 juin 2008

The Myth of Myrrh


« Theias, king of Assyria, had a daughter called Smyrna (or Myrrha). Smyrna incurred Aphrodite’s wrath by not paying homage to her. She inspired a passionate love for her father in the girl. Wirth the help of her nursemaid, Smyrna managed, by fooling her father, to sleep with him twelve nights in a row. When Theias realized what he had done, he took out his knife and set off in pursuit of Smyrna. Theias was about to reach her when she begged the gods to make her invisible. They took pity on her and changed her into a tree called smurna (or murrha), the myrrh tree. Nine months later, the bark of the tree split, and out came the child called Adonis. He was so beautiful, when he was very young, that Aphrodite hid in a chest to conceal him from the eyes of the gods and gave him to Persephone to keep. The moment Persephone saw Adonis she refused to return him to Aphrodite. Zeus was called on to arbitrate the conflict; he divided the year in three parts: Adonis would spend a third alone; Persephone would receive another; the last would be for Aphrodite. But Adonis gave his own share to the latter goddess. Later, during a hunt, Adonis perished, wounded by a boar.”
Panyassis of Halicarnassus (5th century B.C.), quoted by Marcel Détienne.



Thus Adonis, the perfumed lover, was born of the worst possible sexual transgression, incest, loved by two rival goddesses, and died sterile on the eve of manhood like all those who give devote themselves too much, and too early, to sensuous pleasures.

In The Gardens of Adonis, Marcel Détienne’s remarkable study of the myth of Adonis and of the use of spices, the historian underlines the Ancient Greek’s ambiguous perception of perfume.
On the one hand, frankincense and myrrh are incorruptible substances – the very antithesis of the mortal flesh of men and beasts and of putrescible plants. They establish a bridge between the earthly world of men and the celestial world of the gods, who receive them as offerings during sacrificial rituals: the immortals feed on their divine fragrance, so close to their own.

On the other hand, when they are used in order to seduce, these aromatic substances take on a negative connotation. The women who wear them to entice their lovers abuse them: by imitating divine beauty, they divert perfumes from their primary function and exhaust their partners’ sexual energy. Married couples who use them commit a perversion by falling into lechery: the aim of marriage is to produce legitimate heirs, not to lead men astray from their civic and religious duties… The courtesans, concubines and prostitutes who wear fragrances – and who cannot bear legitimate offspring – are sterile like Adonis. The festivals in which they pay homage to the demigod emphasize this. During the Adoniads, these women and their lovers or clients plant small gardens in pots or baskets, and expose them to the mid-July sun, in a type of inverted celebration of the Earth’s fecundity. The plants grow quickly and wither at once: the gardens of Adonis are then thrown in the sterile waters of fountains or in the sea. This rite is accompanied by the simulated harvest of spices, taken down from rooftops and burned during orgies where all the fleshly excesses are allowed, and sought.

Myrrh is therefore a paradoxical substance, incorruptible and corrupting, sacred and perilous, whose birth is marked by maximum transgression ending in tragic death. In The Gardens of Adonis, Marcel Détienne adds that the blood spilled by the perfumed lover, mortally wounded by a boar, dyed anemones red… And that anemones have no fragrance.

The erotic use of scents – of Adonis’ perfume – is thus, from the birth of Western culture, assigned a negative connotation. Christianity will take it a step further – unlike the Old Testament, rife with sweetly fragrant lovers. This suspicion towards perfume persists throughout history, and the anathema has never quite been lifted: it even seems to be on the rise – just think of the ban on perfumes in several American workplaces, or in the public buildings of whole cities like Halifax, Canada. It is possible to consider this Puritanism masquerading as a medical condition – known as “multiple chemical sensitivities” – as a distant reminiscence of the Ancient Greeks’ mistrust of the artifices of seduction.

Image: The Birth of Adonis, by Nicolas-André Monsiau (1754-1837)