mercredi 30 novembre 2011

Aromatics Elixir Perfumer's Reserve de Laurent Le Guernec pour Clinique : Coup d'éclat pour un classique


Aromatics Elixir, matrice des accords rose-patchouli désormais passés dans le vocabulaire de la parfumerie contemporaine, est également un paradoxe : un sillage monstrueux d’ampleur, ample et profond comme un vin vieux, émanant des comptoirs étincelants de blancheur de Clinique. Le chef d’œuvre de Bernard Chant semble rassembler toutes les essences puissantes rejetées par cette ligne de cosmétiques non-parfumée. Et pourtant, comme le parfum a été considéré comme un remède autant qu’une parure pendant des siècles, le concept d’élixir ne jure pas avec l’identité « médicale » de la marque. C’est d’ailleurs là-dessus que jouaient les premières pubs américaines :

« Aromatics Elixir… joue le rôle d’un parfum mais va au-delà », grâce à des « ingrédients soigneusement choisis pour leur effet historiquement reconnu sur le corps et l’esprit. L’ylang-ylang et la mousse de chêne sont inclus pour leur réputation d’émollients. Un certain type de rose est présente parce que les herboristes la considèrent tonique et astringente. La fleur d’oranger pour ses vertus relaxantes. Le santal et la camomille à cause de leur usage historique dans les soins d’hygiène. La civette et le jasmin à cause de leur rôle classique dans la séduction. »
[Notons au passage que malgré ce discours assez 70s, le patchouli n’est pas revendiqué, peut-être parce qu’il était tout de même un trop connoté hippie.]



Estée Lauder est sans doute, avec Thierry Mugler (Clarins), la grande société cosmétique qui prend le parfum le plus au sérieux, accordant aux parfumeurs des budgets supérieurs à la moyenne, osant des écritures originales plutôt que de copier/coller les tendances du marché. Et Perfumer’s Reserve, l’édition spéciale destinée à marquer le 40ème anniversaire d’Aromatics Elixir, le démontre, en mettant en lumière la beauté de l’original sans lui dérober sa profondeur, contrairement à certaines réécritures contemporaines des classiques.

Autrement dit, Laurent Le Guernec d’IFF n’a pas jugé utile de greffer des fruits rouges ou des muscs blancs sur la bête pour l’adapter aux goûts actuels. C’est plutôt le contraire : il est remonté dans le temps. Le fond encens, myrrhe et vétiver de son Perfumer’s Reserve pourrait avoir 4000 ans plutôt que 40. L’accord aldéhydes, fleurs blanches et iris dont il l’a paré, référence à l’âge d’or de la parfumerie, agit sur les bois et les résines comme une couche de cire grasse et savonneuse sur un meuble ancien, mettant en valeur son grain. Ce coup d’éclat fait d’ailleurs ressortir l’accord caractéristique de chypre amer, aromatique et cuiré qui court dans toute l’œuvre de Bernard Chant, de Cabochard à Knowing en passant par Aramis et Azurée.

Seule concession aux sensibilités contemporaines, Aromatics Elixir y perd son sillage, malgré la richesse des matériaux, et sans doute en partie à cause de la concentration et de la présentation (c’est un extrait sans vaporisateur). Dans la mesure où Laurent Le Guernec déclare dans le communiqué de presse qu’il s’agit de séduire les femmes qui « trouveraient l’original trop puissant », il s’agit d’une volonté délibérée. Reste qu’il s’agit là d’un vrai parfum, dédié aux véritables amateurs de beaux jus : preuve que, même dans le mainstream, c’est encore possible.


2 commentaires:

  1. Je n'ai pas encore teste cette version qui semble assez prometteuse mais justement j'ai porte Aromatics Elixir recemment, l'actuelle version, que je prefere a l'originale.
    L'actuel AE est un parfum tres capiteux au sillage d'enfer mais plus sec, plus "synthetique", moins opulent que l'original, seul regret l'ancien etait plus floral en fond mais trop corse pour moi.

    Tu as raison, dans l'etat actuel des choses, avoir acces a un aussi grand parfum au Macys du coin c'est devient exceptionnel et puis la preuve qu'on est pas obligee de sentir la framboise ou la lessive pour plaire aux garcons, je n'ai que compliments sur compliments quand je le porte!


    Emma

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  2. Emma, j'ai découvert AE dans la salle de bain d'une copine artiste-céramiste, la trentaine, plutôt bohème, ce qui m'a étonnée -- ce n'est le profil ni de sa génération, ni de sa bande.
    En fait, c'était son mari chef cuisinier qui le lui a choisi parce qu'il lui trouve la complexité d'un bon vin. Comme quoi, en effet...

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