jeudi 12 janvier 2012

L'art du parfum selon Frédéric Malle: "Comme les gens passionnants, le parfum doit posséder des aspérités"

Lipstick Rose de Ralf Schwieger, par Konstantin Kakanias

En feuilletant pour la première fois De L’Art du parfum lors de son lancement, j’avoue avoir éprouvé une fugace déception, malgré la présence toujours émouvante de Catherine Deneuve qui en a signé la préface. Certes, le livre et les illustrations de Konstantin Kakanias étaient d’une élégance insensée. Mais le titre m’avait laissé imaginer qu’il s’agirait d’un essai sur le thème plutôt que d’un beau livre à poser sur la table basse…
Mais dès que j’ai mis le nez le nez dans les textes, je me suis dit qu’après tout, un tel essai aurait été superfétatoire : les arguments de Frédéric Malle, ce sont ses parfums, qui suffisent à la démonstration. De l’Art du parfum leur offre une série de postfaces, geste d'une belle transparence, en cohérence avec son statut revendiqué d’éditeur et en guise de protestation contre le gloubiboulga marketing qu'on persiste à nous infliger sous prétexte de préserver la part de rêve et de mystère, comme si le parfum n'était pas aussi une affaire d'intelligence...

Dans une prose limpide, Frédéric Malle explique d’abord la raison pour laquelle il a fondé sa maison, puis la façon dont les parfums sont habituellement composés, pour la contraster avec sa propre approche. Leçon d’édition de parfums qui n’esquive pas les détails techniques, par exemple les intervalles auxquels il évalue les différents essais. Une photo de ses notes, en général prises sur du papier à lettres d’hôtel, laisse entrevoir une existence à la fois laborieuse et glamour – ainsi, il dispose d’un papier à en-tête personnalisé au mythique Château Marmont sur Sunset Boulevard… Quelques légères allusions autobiographiques sont tout aussi romanesques : l’auteur est né le 17 juillet comme Jean-Baptiste Grenouille, apprend-on ; il a occupé la même chambre d’enfant que Jean-Paul Guerlain au 8 rue de Courty (mais pas en même temps, évidemment). Il avoue aussi qu’il a enfin compris ce que c’était que le « sex-appeal », « garantie du succès commercial » d’un parfum, grâce à son amour des femmes et à des « années de vie nocturne »…

Le reste du livre est une suite de textes sur chacun des parfums de la maison : leur auteur, la façon dont la collaboration s’est entamée, l’idée qui a servi de point de départ à la création, les aléas du développement et le résultat final.

Quelques exemples ?
La fin du développement de l’Iris Poudre de Pierre Bourdon a été guidée par l’image de Catherine Deneuve dans le Belle de Jour de Buñuel.
Angéliques sous la Pluie a été inspiré par un brin d’angélique cueilli par Jean-Claude Ellena dans le jardin de son ami Jean Laporte, et conservé dans sa poche.
En Passant est le seul parfum qui soit né d’un nom, utilisé par Frédéric Malle dans les maquettes montrées à Olivia Giacobetti lorsqu'il lui a proposé une collaboration : elle l’a tellement aimé qu’elle a proposé de le prendre comme point de départ.
Quant au Vétiver Extraordinaire de Dominique Ropion, c’est le seul qui ait eu une « muse », en l’occurrence un ami du père de Frédéric Malle – qui souligne au passage à quel point il est opposé à l’idée du parfum sur mesure : « La barrière du langage et le fait que peu de gens sachent conceptualiser une odeur, et encore moins quand s’arrêter, sont autant d’obstacles à la mise en pratique de cette idée. »
Si le vétiver a exigé 500 essais sur plus de 16 mois, Musc Ravageur était pratiquement terminé lorsque Maurice Roucel l’a proposé : cette composition, que le parfumeur considérait comme une de ses meilleures, « était trop audacieuse pour un marché devenu ‘global’, donc frileux ». Elle allait pourtant être « à l’origine de la vogue des ‘nouveaux orientaux’ commencée en 2001. » Pour Dans tes Bras, également de Maurice Roucel, Frédéric Malle confesse que pour la première fois, « mes goûts et les envies les plus intimes me servaient de guide »…

D’une certaine façon, sur un mode discret et dégagé, De l'Art du Parfum est donc quand même un manifeste.

Frédéric Malle, De l’Art du Parfum, éditions Angelika, 2011, illustré par Konstantin Kakanias (pour voir d'autres illustrations, cliquez ici et ici).

6 commentaires:

  1. Merci pour cet alléchant compte-rendu... Il me donne très envie de le feuilleter longuement. J'adore les histoires de coulisses. :-)

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  2. Tara, je ne me rappelle plus si tu as plusieurs parfums de Frédéric Malle... en tous cas, je crois en effet que cela ferait un beau cadeau d'anniversaire!

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  3. Si, j'en ai plein... Noir Épices, Musc Ravageur, Iris Poudre, Dans tes Bras, Angeliques sous la Pluie, Lipstick Rose, Portrait of a Lady, Carnal Flower et Le Parfum de Thérèse... Donc ce livre est tout indiqué pour mon prochain anniversaire! :-)

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  4. Tara, je ne sais pas si la version française sera dispo aux USA, mais je crois qu'on peut la commander sur le site d'Angelika...

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  5. Je vais me renseigner aupres de Renaud Bray et Gallimard à Montréal... Sinon il y a toujours la FNAC et autres qui livrent aux EU...

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  6. Tara, je n'ai pas vérifié, mais je ne suis pas 100% que l'ouvrage est distribué dans les librairies... A ta place, je me renseignerais aussi à la boutique Frédéric Malle la plus proche.

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